Mademoiselle Claire Mahé, Docteur Nathanaël Jarrassé, Madame Laurine Calistri, Monsieur Stéphane Liszez, Docteur Serge Mesure, Professeur Jozina De Graaf
Malgré les progrès dans la conception de prothèses, la marche de la personne amputée reste difficile. L’introduction de composants électroniques dans les prothèses a permis à celles-ci de s’adapter aux différentes situations rencontrées (variation de vitesse, pentes, escaliers) améliorant ainsi cette marche. Ces composants fournissent des données en entrée à une machine à états, déterminant les actions que la prothèse doit effectuer. De fait, l’utilisateur n’a pas le contrôle direct sur sa prothèse.
Des pistes de recherche sont actuellement explorées pour permettre aux personnes amputées, du membre supérieur ou inférieur, de contrôler leur prothèse de façon plus naturelle. Une des pistes porte sur le phénomène de mobilité fantôme, présent chez 50-76% des amputés de membre (Touillet et al., 2018, Bachini et al. soumis), qui est la capacité de volontairement mobiliser des segments du membre fantôme. Ces mouvements fantômes sont systématiquement associés à une activité musculaire du membre résiduel variant avec le type de mouvement fantôme exécuté. Il a été démontré que ces activités musculaires sont classifiables et permettent un contrôle naturel de bras prothétique (Jarrassé et al., 2018) : la prothèse imite le mouvement fantôme, ce dernier étant inné pour la personne amputée (De Graaf et al., 2016). Ceci a été démontré en absence de mouvement du bras résiduel, donc en absence d’activité musculaire autre que celle associée au mouvement fantôme. La marche est une activité dynamique, impliquant une activité musculaire massive et cyclique du membre résiduel. Ainsi, pour envisager le contrôle d’une prothèse du membre inférieur par des mouvements fantômes, il est nécessaire de déterminer si l’activité musculaire associée à ces mouvements fantômes est détectable, malgré l’activité musculaire associée à la marche. Dans cette étude, nous nous sommes intéressés à la détection de l’activité musculaire associée à des planti et dorsiflexions du pied fantôme pendant la marche.
Amputé du membre inférieur, mouvements fantômes, classification, marche, prothèses
Cette étude porte sur un participant de 50ans, amputé trans-fémoral traumatique depuis 8ans. Il porte une prothèse à emboîture contact, un genou Rheo Knee et un pied classe 3, et dispose d’un bon périmètre de marche (>500m). Il a des sensations fantômes indolores et est capable d’exécuter des mouvements de planti/dorsiflexions du pied pendant la marche. L’étude a eu l’accord d’une cellule éthique.
Le participant a été vu 3 fois. Pendant la 1ère session, des enregistrements d’EMG pendant des planti et dorsiflexions fantômes ont été réalisés en position debout sans prothèse à l’aide de 16 électrodes Trigno Wireless (Delsys). Ensuite, une classification hors-ligne, basée sur une Analyse Discriminante Linéaire (LDA) (Englehart et al., 1999), utilisant 11 caractéristiques EMG et une validation croisée à 5 plis, a permis d’identifier 4 sites d’électrodes offrant ensemble la meilleure discrimination entre les mouvements de planti/dorsiflexion fantômes. À partir de ces résultats, une nouvelle emboîture a été conçue pour intégrer quatre électrodes aux sites sélectionnés. A la 2ème session, le participant était équipé de cette emboiture ainsi que de semelles de force Loadsol (Novel), permettant la labélisation des données EMG hors-ligne en fonction du cycle de la marche. Il a ensuite réalisé une marche à vitesse confortable, d’abord 100m sans mouvements fantômes, puis 100m en exécutant des planti et dorsiflexions cohérentes avec le cycle de marche. Puisque les vitesses de marche n’étaient pas identiques pour les deux conditions, la vitesse a été contrôlée lors d’une 3ème session, 41 jours après. Une seconde classification hors-ligne de ces données, utilisant la même approche LDA, caractéristiques EMG et validation croisée, a ensuite été effectuée afin d’identifier les planti/dorsiflexions fantômes parmi les activités musculaires naturellement présentes à la marche.
Le traitement hors-ligne de l’ensemble des données des deux sessions de marche révèle qu’une classification basée sur trois électrodes permet d’atteindre un taux d’identification de 95%. Avec ces mêmes électrodes, le classifieur distingue les mouvements de planti et dorsiflexion fantômes avec un taux de 94% lorsqu’ils sont effectués le même jour à la même vitesse, de 95% le même jour à des vitesses différentes, et de 95% lorsqu’ils sont réalisés un jour différent à des vitesses différentes. Les erreurs de classification se produisent principalement lors des transitions entre les deux types de mouvement.
Ces résultats sont particulièrement prometteurs, d’autant plus que le participant n’a reçu aucun entraînement pour exécuter des mouvements fantômes pendant la marche. Il est intéressant de noter que la vitesse de marche ne semble pas altérer la signature musculaire des mouvements fantômes, ce qui est en accord avec les observations concernant la vitesse d’exécution de mouvements fantômes de la main (Rossel et al., 2023). De plus, cette signature reste stable au fil du temps, malgré l’intervalle de 41j entre les 2 sessions.
Bien que ces premiers résultats soient encourageants, plusieurs axes d’amélioration sont à envisager. Il sera notamment nécessaire de perfectionner : (i) la détection des sites optimaux de placement des électrodes lors de la 1ère session et leur reproduction fidèle sur l’emboîture ; (ii) la labellisation des signaux EMG des différents mouvements, fantômes ou réels, en vue d’alimenter le classifieur ; et (iii) le choix des caractéristiques extraites des signaux EMG à prendre en compte par le classifieur.
Cette étude ne montre pas seulement que des mouvements fantômes du pied peuvent être exécutés pendant la marche, mais aussi que ces mouvements peuvent être détectés. Si ces résultats encourageants peuvent être confirmés, nous pouvons espérer un jour redonner le contrôle d’une prothèse de membre inférieur au patient à l’aide de mouvements fantômes.
De Graaf, J.B. et al. (2016) ‘Phantom hand and wrist movements in upper limb amputees are slow but naturally controlled movements’, Neuroscience.
Englehart, K. et al. (1999) ‘Classification of the myoelectric signal using time-frequency based representations’, Medical Engineering & Physics.
Jarrassé, N. et al. (2018) ‘Phantom-Mobility-Based Prosthesis Control in Transhumeral Amputees Without Surgical Reinnervation: A Preliminary Study’, Frontiers in Bioengineering and Biotechnology.
Rossel, O. et al. (2023) ‘Phantom Movement Training Without Classifier Performance Feedback Improves Mobilization Ability While Maintaining EMG Pattern Classification’, IEEE Transactions on Medical Robotics and Bionics.
Touillet, A. et al. (2018) ‘Characteristics of phantom upper limb mobility encourage phantom-mobility-based prosthesis control’, Scientific Reports.