Monsieur Clément PERRIER
« Manger-bouger», réaliser « trente minutes d’activité physique par jour » ou encore mettre en place du « sport sur ordonnance » sont, depuis le début des années 2000, autant d’objectifs et d’instruments déployés dans les politiques de santé françaises.
sport-santé, politiques publiques, sociologie, science politique
Cette communication, fondée sur les résultats de plusieurs enquêtes empiriques en sociologie de l’action publique (260 entretiens semi-directifs, des observations participantes dans les expertises d’État (HAS, INSERM, ministères) et de multiples analyses de réseaux), vise à comprendre comment et pourquoi l’activité physique, en particulier dans sa visée sanitaire, a progressivement été constituée en catégorie de l’action publique. Plus encore, il s’agit d’examiner les moyens mis en œuvre, les luttes corporatistes tout autant que les coalitions d’acteurs pour transformer et cadrer les contours du « problème » de la sédentarité converti en « solution » de la mise en activité physique. Enfin, nous montrerons comment ces politiques sont traduites et déployées dans les territoires à partir du récent rapport « Mailler les Réseaux Sport-Santé », en insistant sur l’importance des collaborations et les possibilités pour renforcer les relations interprofessionnelles en la matière.
Notre travail montre que l’activité physique a progressivement été constituée comme une priorité sanitaire nationale, sous l’impulsion d’expertises d’État (HAS, INSERM) et d’un ensemble d’instruments (politiques publiques, Maisons sport-santé, prescription d'activité physique etc.) qui ont contribué à faire exister la sédentarité comme problème public. Cette montée en puissance s’accompagne d’une injonction à la mobilité permanente, soutenu par la responsabilisation des individus et l’idée que la santé repose sur la capacité de chacun à adopter des modes de vie actifs. Toutefois, la mise en œuvre territoriale de ces politiques révèle une forte hétérogénéité des configurations locales, liée aux rapports de pouvoir professionnels, aux ressources des acteurs et à la structuration inégale des réseaux Sport-Santé. En conséquence, la lutte contre la sédentarité, loin d’être un levier automatique de réduction des inégalités, peut contribuer à les reconduire, en touchant d’abord les publics déjà les mieux dotés corporellement et socialement.
Ces politiques de sport-santé montrent que si l’activité physique devient désormais un levier central des politiques de santé publique, sa traduction territoriale reste traversée par des enjeux de professionnalisation, de concurrence et d’inégalités sociales de santé.
Renforcer l’interprofessionnalité apparaît alors comme une condition déterminante d’un accès équitable à l’activité physique à visée de santé.
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